mercredi 12 novembre 2008

L’Intelligence de l’explication de texte



Voici ce que j’écrivais dans l’avant-propos de ce livre, paru en 2005 chez Ellipses :

« L’analyse des textes demeure un exercice fondamental de l’enseignement du français. Qu’on la nomme explication linéaire ou commentaire composé, étude suivie ou lecture méthodique, elle a pour objet essentiel la formation de l’esprit critique, c’est-à-dire à la fois :

- l’esprit d’analyse : l’aptitude à discerner les enjeux des textes, à percevoir la subtilité de leurs moyens d’expression, à interpréter le discours en sachant déjouer les pièges du langage – toutes choses fort nécessaires aux citoyens qui fondent sur la conscience l’exercice de leur liberté ;

- la faculté d’admiration : l’art d’apprécier l’art, de s’étonner devant la puissance d’un imaginaire, de jouir de l’allégresse d’un style, de mesurer l’authenticité d’un message, de ressaisir à travers les œuvres qui nous précèdent l’héritage culturel qui nous constitue – au risque de donner l’envie d’écrire, car l’admiration mène à la création.
C’est naturellement à travers la pratique que s’acquiert l’intelligence de l’explication, qui à la fois éclaire les textes et en reçoit la lumière. Et cela ne s’improvise pas. »

Dans ce manuel, j’ai donc proposé une quarantaine de « clefs » pour aller au cœur des divers types de textes qui valent d’être expliqués, et rédigé trente modèles de commentaires, dont une analyse de la page puissamment ironique écrite par Montesquieu contre « L’esclavage des Nègres » (De l’esprit des Lois, XV, 5).

Or, je viens de découvrir, à ma stupéfaction, qu’il existe des critiques à courte vue qui prennent ce texte au premier degré, et font de Montesquieu un auteur raciste ! L’excellente notice sur Montesquieu, dans Wikipédia, renvoie justement à l’une de ces « interprétations », qui est aux antipodes de toute « intelligence du texte », et accuse Montesquieu d’avoir été actionnaire de la « Compagnie des Indes » (qui pratiquait la traite des Noirs), ce qui est faux.

Il semble plus gravement encore que ce type de « lecture », qui se veut « militante », s’inscrive dans une remise en cause générale des « Lumières » et de l’humanisme, qui sont pourtant les fondements même des « Droits de l’homme », c’est-à-dire de l’anti-racisme. Certes, on peut longuement juger du comportement réel qui fut celui des pays européens à l’époque des Lumières, mais à condition de ne pas se tromper de conclusion : si bon nombre d’Européens ont trahi les Lumières, c’est leur trahison qui doit être condamnée, et non pas les Lumières (au nom desquelles, justement, on peut porter ce jugement critique).

Tout ceci me conforte dans l’idée que, plus que jamais, le respect des mots et de leurs sens, la rigueur de l’analyse, la maîtrise des outils permettant d’interpréter les textes (la connaissance en particulier des figures de style), sont indispensables à qui veut, face à la tyrannie du médiatiquement correct, éviter de sombrer dans l’imbécillité barbare.

Dans un monde où la bêtise est virulente, il nous faut rendre l’intelligence contagieuse.
B. H.