Réactiver mon Dictionnaire
En ce 20 septembre 2019, après l'épisode d'un AVC et la publication d'un nouveau livre, La Deuxième Mot de Molière, aux éditions de Beaugies, sous mon autre signature (François Brune), je reprends les commandes de ce blog. Plus que jamais, je crois à la justesse des mots. Voici par exemple, au sujet de l'expression "politiquement correct", quelques précisions sur
le double usage auquel renvoie l'adjectif correct : il peut s'agir du refus de mots ou d'idées non conformes à une idéologie dominante (alléguer une aspiration à l'égalité sociale n'est pas politiquement correct pour un bourgeois bien de droite), il n'y a alors qu'une façon d'être politiquement correct (position dogmatique) ; mais aussi d'une incohérence (ou contradiction suspecte) entre ce que prône un philosophe ou un militant dans son discours et ce qu'il fait dans sa conduite: et c'est dans ce sens que j'avais titré une de mes analyse: "Jésus est-il toujours évangéliquement correct?", dans la rubrique "les jeudis du Songeur" de mon site: http://www.editionsdebeaugies.org
J'y reviendrai...
vendredi 20 septembre 2019
vendredi 30 octobre 2015
LE MOT « CLASSIQUE » CHEZ LES CLASSIQUES
À titre d’exemple,
voici l’entrée du mot CLASSIQUE dans notre Dictionnaire du français classique, présenté hier, 29 octobre 2015 :
« CLASSIQUE. adj. et n. (lat
classicus, « de première classe,
de premier ordre »).
1. Au xviIe siècle, se dit d’auteurs ou d’ouvrages
anciens de grande valeur, et donc dignes d’être imités et étudiés. Il s’agit là
du sens latin : la société romaine était en effet divisée en classes (au
sens de catégories sociales) ; les meilleurs ouvrages étaient réservés à
la première de ces classes, dont les enfants devaient recevoir la meilleure
éducation. Les auteurs de ces ouvrages servaient de référence, de
modèles ; on les appelait classici scriptores :
écrivains de première classe, classiques.
Le mot classique renvoie donc, au xviie
siècle, aux ouvrages des anciens (et notamment latins) qui faisaient
autorité et méritaient d’être
enseignés, et non aux auteurs français que nous nommons aujourd’hui classiques (Molière, Racine, La
Fontaine, etc.). Comme, en outre, le mot classe
en était venu à désigner des ensembles d’élèves et, par extension, les lieux où se donnait l’enseignement, le mot classique s’entendit aussi au sens de
« digne d’être étudié dans les classes ».
2. Au cours du xviiie
siècle, le mot classique va
s’appliquer aux grands auteurs du siècle de Louis XIV, en particulier ceux de
la période 1660-1680. Ils seront considérés comme des modèles par Voltaire, par
les encyclopédistes, etc.
L’art
délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie fut encore une chose
nouvelle dont le livre des Mondes fut
le premier exemple [Il s’agit des Entretiens sur la pluralité des mondes de
Fontenelle, paru en 1686] […]. Ce qui pourrait empêcher cet ouvrage
ingénieux d’être mis par la postérité au rang de nos livres classiques, c’est
qu’il est fondé en partie sur la chimère des tourbillons de Descartes.
Voltaire, Le
Siècle de Louis XIV, chap. XXXII.
Cependant, le mot classicisme n’apparaîtra qu’au xixe siècle, pour définir à la
fois cette période dite classique et l’esthétique (liée à l’imitation des
anciens) qui en est issue. Depuis, le mot classique
(par opposition à tout ce qui peut apparaître comme moderne) a pris un sens
très général : toute grande œuvre est ainsi nommée classique.
N.B. Le présent
dictionnaire est centré sur la langue
littéraire élaborée et fixée au xviie
siècle, puis demeurée comme modèle dans les œuvres littéraires, bien
au-delà du classicisme proprement dit, comme en font foi de nombreuses
citations extraites d’œuvres du xviIie siècle. Ainsi se justifie l’emploi des
expressions époque classique ou langue classique, pour couvrir un champ
littéraire qui s’étend, en gros, de Corneille à Chateaubriand. »
Mais nous pouvons ajouter à ce N.B. que ces emplois sont loin de s’arrêter
à l’œuvre de Chateaubriand. L’exemple de Balzac, romancier réaliste situé au cœur
du XIXe siècle, est caractéristique. Lorsque celui-ci écrit La Cousine Bette, un feuilleton dont
chaque épisode est rapidement écrit pour paraître le lendemain, il use spontanément
de nombreux mots dans le sens qu’ils avaient au xviie siècle. C’est notamment le cas de ces termes, relevés
par Jacques Pignault : affriander, attachement, dérangement, facile,
fantastique, coup de foudre, incessamment, prétendu, ridiculité,
sortable, tempérament... Le
lecteur peut ainsi se figurer que l’expression « coup de foudre » désigne
comme aujourd’hui un amour subit et violent, alors qu’il s’agit encore en réalité d’un « événement désastreux qui atterre, qui
déconcerte, qui cause une peine extrême » (Littré).
Il faut donc se
méfier des catégories littéraires trop bien établies : même
les auteurs dits « romantiques » se plaisent à parler la langue classique !
jeudi 29 octobre 2015
Dictionnaire du français classique littéraire
Le Dictionnaire du
français classique littéraire (Champion
Classiques, 2015)
Historique. Au
début de l’an 1999, dans le sillage du Dictionnaire
portatif du bachelier, les éditions Hatier m’ont proposé de rédiger un
ouvrage de même nature (pédagogique) sur la langue classique et sur ses
références culturelles (tant du côté de la mythologie gréco-latine que de la
tradition judéo-chrétienne). Nombre d’œuvres littéraires, de Corneille à
Chateaubriand (et même au-delà), ne peuvent pas s’apprécier dans toute leur
force et leur profondeur si l’on ne comprend pas le sens originel (souvent
étymologique) des mots qui les constituent. Nécessaires à tous les élèves, ces
connaissances étaient en particulier indispensables à ceux d’entre eux qui
s’orientaient vers des études littéraires.
Je me suis donc mis à l’ouvrage avec mon ami et
complice Jacques Pignault, qui m’avait si bien aidé par ses relectures à mettre
au point le Dictionnaire portatif. C’est
ainsi qu’en septembre 2000, les éditions Hatier sortaient un beau petit livre
de 450 pages, au format poche, agréable à feuilleter, intitulé : Comprendre
la langue des œuvres classiques, de Corneille à
Chateaubriand. Nous y avions travaillé
environ 500 heures chacun.
Il s’en est vendu environ 300 exemplaires… ainsi va
l’édition.
Mais cet échec commercial ne nous a
pas découragés… ainsi sont les auteurs.
Jacques
en particulier, passionné par la langue classique, poursuivit ses lectures et
ses collectes. Nous pensions que, si l’idée d’un lexique pédagogique ne tenait plus,
l’approfondissement et l’enrichissement de notre livre, en nombre de mots et en
exemples portant sur plus de deux siècles,
pouvaient déboucher sur un ouvrage de référence destiné aux spécialistes,
enseignants ou chercheurs. Mais nous songions aussi aux amateurs désireux
d’entretenir leur culture classique, et de savourer en profondeur les
chefs-d’œuvre intemporels que nous admirons nous-mêmes.
L’abondance
des termes que nous (re-)découvrions, pour tenir dans les limites d’un volume
de 800 pages, nous a obligés à ôter de ce dictionnaire les références
proprement culturelles renvoyant à la mythologie gréco-latine et à la tradition
judéo-chrétienne, supposées connues de notre nouveau public.
Tout en
nous adonnant à cet ouvrage, qui nous paraissait d’autant plus nécessaire que
nous l’approfondissions, nous avons pris divers contacts à la recherche
d’éditeurs susceptibles de le juger utile… Au bout de quelques années, alors
que je désespérais, Jacques continuait d’y croire. Et il avait raison :
Jean Pruvost, Directeur de collection chez Champion, l’adopta immédiatement.
Un livre
n’avorte jamais quand on croit en lui jusqu’au bout. Il suffit de patienter 15
ans…
À vous
de juger !
Voici la modeste présentation de
ce dictionnaire, qui figure au dos de la couverture :
« L’accès
aux œuvres classiques, pour l’étudiant, l’amateur cultivé, ou le chercheur, est
souvent freiné par la présence de mots ou tournures qui peuvent, sinon
surprendre, du moins prêter à confusion. De Corneille à Chateaubriand, la
langue littéraire présente en effet de nombreux termes ou expressions hors
d’usage aujourd’hui (gourmandé, heur, mutiné), ou qui sont employés dans
un sens qui diffère des emplois actuels (amant, grimace, industrie,
généreux, suffisance) ; ou encore, dont la signification, sans avoir
changé, s’est considérablement affaiblie (déplaisir, étonner, gêne, horrible).
S’il
existe des outils essentiels, spécialisés tantôt dans la langue du XVIIe
siècle, tantôt dans celle du XVIIIe siècle, il a paru utile de regrouper
en un seul ouvrage l’essentiel des termes figurant dans le français
classique littéraire, qui en vérité s’étend sur ces deux siècles. La plupart
des grands auteurs postérieurs au siècle de Louis XIV, en effet, même s’ils se
voulaient « modernes », n’ont cessé d’admirer et de prendre pour
modèles les œuvres constitutives du classicisme proprement dit, et de faire
usage de la même langue, comme en font foi les abondantes citations de cet
ouvrage.
Ainsi se justifient les expressions époque classique ou langue
classique, pour
désigner cette exceptionnelle littérature dont, très humblement, nous avons voulu faciliter la
compréhension, et faire partager la saveur. »
Ce livre est désormais disponible, notamment à la librairie des Éditions Honoré
Champion, 3 rue Corneille, 75006 Paris (776 p., 24€).
jeudi 24 janvier 2013
Quiz culturels : S'instruire en s'amusant, aux éditions de Beaugies
Il suffit de cliquer sur ce lien : http://www.editionsdebeaugies.org/ et chacun peut tester et enrichir ses références culturelles. Depuis juillet 2012, je présente un nouveau test chaque mois. C'est libre, gratuit, et l'on peut, dans la foulée, parcourir attentivement des textes, des présentations, des articles passés et.. à venir.
Car après s'être "amusé", il faut bien s'instruire...
B.H.
dimanche 28 octobre 2012
L’auteur du Dictionnaire portatif est toujours vivant. Vraiment ?
Novembre 2012 approche, et je m’aperçois – avec une stupeur sereine – que je n’ai rien ajouté de neuf sur ce blog depuis deux ans ! Je me suis soudain demandé si j’étais mort : chacun sait que celui qui n’existe pas sur Internet n’existe plus du tout. Je me suis immédiatement frappé le front, je me suis tâté un peu partout, j’ai pris mon pouls. Eh bien, selon toute apparence, je suis resté en vie. Que s’est-il donc passé ? Pourquoi me suis-je tu ? N’ai-je pas le devoir, ayant osé écrire, de rendre compte de mes silences ?
Voici donc quelques informations à l’attention des « happy few » qui ont pu trouver de l’intérêt à ce que j’écrivais, et qui éventuellement se demandent si mon cadavre bouge encore...
• D’une part, lorsque j’ai jugé utile de présenter le Dictionnaire portatif et mes autres livres « didactiques » sur ce blogue, je projetais de me borner à cette présentation, et non d’entreprendre un journal de bord réagissant, par exemple, à tout ce qui touche à l’édition de livres parascolaires. Une fois dit l’essentiel de ce qui est à dire, il est bienséant de se taire. On n’en continue pas moins de penser.
• D’autre part, ceux qui ont lu ici ma courte biographie (qui renvoie à ma notice sur Wikipédia) savent que j’écris sous deux signatures : Bruno Hongre (professeur de lettres) et François Brune (écrivain « engagé »), cette différenciation n’étant pas une dissimulation. Or, il se trouve qu’une fois publiée la seconde édition de Révisez vos références culturelles... et politiques!, labeur intense, je me suis surtout consacré à mes autres écrits et interventions. J’ai eu à donner une dizaine de conférences à l’encontre de l’idéologie publicitaire et en faveur d’une saine décroissance. J’ai consacré également des centaines d’heures (l’année 2011) à réécrire un livre de témoignages des anciens volontaires de l’association « Frères des Hommes », sorti en janvier 2012 : Le Mouvement Frères des Hommes : les Acteurs témoignent (éditions Parangon).
• Enfin et surtout, durant les heures qui me restaient, j’ai écrit de nouveaux récits, dans le sillage du recueil L’Arbre migrateur et autres fables à contretemps, que j’ai regroupées sous le titre Youm, le cheval qui lisait avec ses narines, et autres histoires dissidentes (Parangon, juin 2001). Tout ceci est présenté et précisé dans mon autre blogue http://larbremigrateur-fb.blogspot.fr/
Cette rétrospective est l’occasion d’évoquer les dernières aventures et mésaventures de mon itinéraire d’écrivain :
• Si en 2008 j’ai pu me réjouir de la réédition (largement augmentée) du Dictionnaire portatif, dans les trois années qui ont suivi, les ventes ont chuté, sans doute à cause du changement de collection et de la longue rupture de stocks (fin 2007-septembre 2008) qui avait fait croire au public que le dictionnaire était définitivement épuisé.
• En 2009, un comédien a pu conter sur scène, à Avignon, l’histoire intégrale de « L’Arbre migrateur ». Ce fut une joie, que je ne soupçonnais pas, et qui a stimulé mon inspiration. Malheureusement, le nouveau recueil qui en est sorti (Youm), totalement ignoré des critiques, a été un échec commercial (Distribution Sodis, 98 volumes écoulés en tout et pour tout!).
• En 2010-2011, malgré tout le soin apporté à l’approfondissement et à la qualité de mon livre de Références culturelles, chez Ellipses, les ventes ont stagné. Pour me réconforter sans doute, les éditions Gallimard m’ont appris, en décembre 2011, qu’elles ne réimprimaient plus Le Bonheur conforme (malgré son honorable notoriété).
• Cette série de contretemps m’a conduit à réagir. Mes amis et moi avons fondé une Association destinée à sauvegarder mes livres en péril, en se donnant la possibilité de les rééditer. Ainsi sont nées, il y a quatre mois, les Éditions de Beaugies, dont le premier acte a été, en juin, de republier Le Bonheur conforme à un coût défiant toute concurrence (11€). Dans la foulée, nous avons créé un site Internet qui complète mes deux blogues, et permet de se procurer ces divers livres : http://www.editionsdebeaugies.org/
Un second texte vient de paraître. Il regroupe deux récits antérieurs, illustrés par une de mes anciennes élèves, ce qui en fait à mes yeux une sorte de conte de Noël en deux Actes : Le Songe des Arbres et la Rumeur qui passe (86 pages, 5€). À lire et à offrir…
mardi 30 novembre 2010
Inimitable Nerval !
[à écouter]
................Lamento..............
Dans la forêt lointaine où résonne un hibou,
J’entends la rime ancienne… et l’appel du coucou.
Las ! ma chandelle est morte, et je n’ai plus la flamme
De surmonter les deuils qui me désolent l’âme.
Mes aimés sont partis, un jour, je ne sais où
Pour assagir – sans doute – un monde à demi fou…
Me laissant seul sur place en proie aux longues heures
Qui pétrifient l’espace où s’enfouit ma demeure.
Alors se sont figés les lents balancements
De ma rose trémière en deuil de firmament !
Ma vie n’est plus depuis qu’un songe d’existence
Que bercent quelquefois, les soirs de peine immense,
La vague de rumeurs des feuilles dans le bois
Et la brume qui pleure où se perdent des voix.
Dans la forêt lointaine où résonne un hibou,
J’entends la rime ancienne… et l’appel du coucou.
Las ! ma chandelle est morte, et je n’ai plus la flamme
De surmonter les deuils qui me désolent l’âme.
Mes aimés sont partis, un jour, je ne sais où
Pour assagir – sans doute – un monde à demi fou…
Me laissant seul sur place en proie aux longues heures
Qui pétrifient l’espace où s’enfouit ma demeure.
Alors se sont figés les lents balancements
De ma rose trémière en deuil de firmament !
Ma vie n’est plus depuis qu’un songe d’existence
Que bercent quelquefois, les soirs de peine immense,
La vague de rumeurs des feuilles dans le bois
Et la brume qui pleure où se perdent des voix.
[1848-50 ?]
vendredi 17 septembre 2010
L’homme est un loup pour l’homme. Vraiment ?
● Cet aphorisme, issu de Plaute, fut rendu célèbre par Hobbes (après Érasme), qui en fit l'un des postulats de son essai Le Léviathan (1651), bien que la formule elle-même n'y figure pas. Pour Hobbes, l'état de nature est pour les hommes un état de "guerre de tous contre tous". Le problème, c’est que ce pessimisme radical est une trahison de la pensée de Plaute, lequel fait dire au personnage de sa comédie : « L’homme est un loup pour l’homme, et non un homme, quand il ne sait pas à qui il a affaire. » Le complément « quand il ne sait pas à qui il a affaire » relativise en effet nettement la proposition originelle, au point de l'inverser!
Au royaume des citations, il convient donc d'être prudent. Cet exemple est l'un de ceux qui méritaient quelque rectification dans le livre de Références culturelles dont j'ai annoncé la nouvelle édition en juin 2010. En voici une quinzaine d’autres :
● La très sage maxime Aide-toi, le Ciel t’aidera n’est pas une parole du Christ dans l’Évangile mais de Hercule dans la fable de La Fontaine « Le Charretier embourbé ».
● Descartes a emprunté son Je pense donc je suis à saint Augustin qui avait écrit (plus subtilement) : Si je me trompe, [c’est que] je suis.
● Le célèbre précepte de F. Bacon On ne commande à la nature qu’en lui obéissant décalque le proverbe latin Une femme vertueuse commande à son mari en lui obéissant.
● Voltaire n’a jamais écrit : Je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer. Il s’agit là d’un faux notoire.
● C’est également par erreur que l’on prête à Marie-Antoinette la formule S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. Celle-ci était connue bien avant la Révolution.
● Si Montesquieu a écrit Le mieux est le mortel ennemi du bien… il a aussitôt biffé cette sentence qu’il trouvait excessive !
● Alfred de Musset est l’auteur de l’axiome Les grands artistes n’ont pas de patrie… que Marx appliqua par la suite aux prolétaires.
● Le précepte La politique est l’art du possible n’est ni de Gambetta ni de Richelieu, mais de Bismarck qui a déclaré plus exactement La politique est l’art des possibles… ce qui n’est pas la même chose !
● C’est la pédagogue suédoise Ellen Key qui est à l’origine (presque mot pour mot) de l’aphorisme La culture est ce qui reste quand on a tout oublié. On l’attribue à tort à Édouard Herriot, qui précisa pourtant qu’elle provenait d’un auteur étranger…
● Simone de Beauvoir et Louis Aragon ont pastiché sans vergogne des auteurs qui les ont précédés, puisque Tristan Bernard a publié en 1899 un récit intitulé Mémoires d’un jeune homme rangé et que Francis Ponge a écrit en 1944 L’homme est l’avenir de l’homme…
● Quand Churchill proclame : La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres, il s’inspire directement du brésilien Ruy Barbosa qui disait : La pire des démocratie est bien préférable à la meilleure des dictatures.● On attribue à Gramsci l’idée qu’il faut allier l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence. En réalité, Gramsci cite son ami Romain Rolland, auquel il a emprunté l’antithèse.
● Quand il déclarait : Il faut donner du temps au temps, Mitterrand citait un proverbe séculaire, attesté dès le 17ème siècle, qui figurait déjà dans Don Quichotte, et lui était antérieur.
● C’est enfin Laurent Fabius qui, à propos de certaines élections, eut le mot : J’y pense parfois, en me rasant. Nicolas Sarkozy ne fit que démarquer la formule en déclarant qu’il y pensait tout le temps. C’était en 2003…
Ce n’est là qu’un échantillon !
● La très sage maxime Aide-toi, le Ciel t’aidera n’est pas une parole du Christ dans l’Évangile mais de Hercule dans la fable de La Fontaine « Le Charretier embourbé ».
● Descartes a emprunté son Je pense donc je suis à saint Augustin qui avait écrit (plus subtilement) : Si je me trompe, [c’est que] je suis.
● Le célèbre précepte de F. Bacon On ne commande à la nature qu’en lui obéissant décalque le proverbe latin Une femme vertueuse commande à son mari en lui obéissant.
● Voltaire n’a jamais écrit : Je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer. Il s’agit là d’un faux notoire.
● C’est également par erreur que l’on prête à Marie-Antoinette la formule S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. Celle-ci était connue bien avant la Révolution.
● Si Montesquieu a écrit Le mieux est le mortel ennemi du bien… il a aussitôt biffé cette sentence qu’il trouvait excessive !
● Alfred de Musset est l’auteur de l’axiome Les grands artistes n’ont pas de patrie… que Marx appliqua par la suite aux prolétaires.
● Le précepte La politique est l’art du possible n’est ni de Gambetta ni de Richelieu, mais de Bismarck qui a déclaré plus exactement La politique est l’art des possibles… ce qui n’est pas la même chose !
● C’est la pédagogue suédoise Ellen Key qui est à l’origine (presque mot pour mot) de l’aphorisme La culture est ce qui reste quand on a tout oublié. On l’attribue à tort à Édouard Herriot, qui précisa pourtant qu’elle provenait d’un auteur étranger…
● Simone de Beauvoir et Louis Aragon ont pastiché sans vergogne des auteurs qui les ont précédés, puisque Tristan Bernard a publié en 1899 un récit intitulé Mémoires d’un jeune homme rangé et que Francis Ponge a écrit en 1944 L’homme est l’avenir de l’homme…
● Quand Churchill proclame : La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres, il s’inspire directement du brésilien Ruy Barbosa qui disait : La pire des démocratie est bien préférable à la meilleure des dictatures.● On attribue à Gramsci l’idée qu’il faut allier l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence. En réalité, Gramsci cite son ami Romain Rolland, auquel il a emprunté l’antithèse.
● Quand il déclarait : Il faut donner du temps au temps, Mitterrand citait un proverbe séculaire, attesté dès le 17ème siècle, qui figurait déjà dans Don Quichotte, et lui était antérieur.
● C’est enfin Laurent Fabius qui, à propos de certaines élections, eut le mot : J’y pense parfois, en me rasant. Nicolas Sarkozy ne fit que démarquer la formule en déclarant qu’il y pensait tout le temps. C’était en 2003…
Ce n’est là qu’un échantillon !
B. H.
dimanche 13 juin 2010
Révisez vos Références culturelles… et politiques ! (2003-2010)
Cette nouvelle édition, revue et augmentée, vient de paraître chez Ellipses. Voici quelques précisions au sujet d’un travail auquel j’ai consacré près de 1500 heures…
Point de départ. Cet ouvrage s’inscrit dans le prolongement du Dictionnaire portatif. En collectant les mots indispensables au savoir du futur bachelier, j’ai cru devoir retenir certaines expressions dont le lecteur, même s’il en connaît les termes, n’en saisit pas pour autant le sens global. En voici un échantillon : éminence grise, opium du peuple, violon d’Ingres, état de grâce, écharpe d’Iris, enfant prodigue, bouc émissaire, coup de Jarnac, doute méthodique, cinquième colonne, mal du siècle, socialisme à visage humain, libre arbitre… Dans chaque cas, l’étudiant ne peut comprendre que s’il connaît le champ culturel – mythologique, religieux, littéraire, historique, politique, philosophique – d’où est issue l’expression, et auquel elle renvoie : il s’agit bien d’une référence culturelle.
Ces références sont d’autant plus délicates à dépister qu’elles prennent parfois la forme d’allusions que seuls les initiés peuvent reconnaître. En mai 2010, je lis par exemple ce titre de journal, au sujet de la Grèce en pleine crise économique : La cigale athénienne et la bise des marchés. Impossible de comprendre si l’on n’a pas en mémoire la Fable fameuse de La Fontaine: «La Cigale ayant chanté / Tout l’été / Se trouva fort dépourvue / Quand la bise fut venue, etc. ».
Par cette allusion, l’auteur fait des citoyens grecs des consommateurs insouciants que vient punir la froide réalité des marchés, - interprétation pour le moins tendancieuse, puisqu’elle innocente les spéculateurs de la finance internationale en assimilant leur prédation à un phénomène météorologique. Ainsi joue-t-on des références !
Première édition (2003). Lorsque les éditions Ellipses m’ont proposé d’écrire un ouvrage de culture s’inscrivant dans le sillage du Dictionnaire portatif, en 2002, j’ai sauté sur l’occasion qui m’était donnée de faire un vaste recensement de ces locutions-références (qui ne pouvaient pas trouver place dans mon « portatif »).
Ce qui compliquait la tâche, c’est qu’il existe divers degrés dans les formules, expressions, ou phrases méritant d’être retenues comme références, en fonction de leur usage ou de leur valeur propre, soit :
- de simples groupes de mots (cf. l’échantillon de locutions énumérées plus haut)
- des proverbes ou sentences proverbiales (Le mieux est l’ennemi du bien, Lâcher la proie pour l’ombre)
- des allusions à des formules connues (« Selon que vous serez puissant ou misérable… » ; On ne naît pas X, on le devient)
- de multiples citations enfin, jugées « incontournables » ou « devant être connues », selon la « culture » qu’on attend des candidats aux concours ou des « humanistes » de profession : pensées profondes, aphorismes étincelants, fleurs de poésies, mots historiques, phrases politiques plus ou moins mémorables...
Comment ne rien omettre ? Comment échapper à la stupeur d’avoir oublié telle ou telle maxime jugée essentielle à la survie de la République des Lettres ?
J’ai humblement exploré les domaines suivants : la mythologie gréco-romaine ; les locutions et proverbes latins ; les références judéo-chrétiennes ; les mots historiques ; les citations littéraires (deux chapitres, du Moyen Âge au XXe siècle) ; les sentences ou formules philosophiques, et aussi politiques… J’ai fait précéder ces investigations d’un grand test introductif, en cent questions regroupant les expressions-références les moins discutables. Et j’ai ajouté en fin d’ouvrage, un grand « fourre-tout » extensible à l’infini, pour me donner l’impression d’atteindre asymptotiquement l’inaccessible exhaustivité…
Avec 284 pages bien tassées, nourries de questions espiègles et d’explications minimales, le livre couvrait déjà plus de mille expressions !
L’édition présente (2010). Naturellement, ce type d’ouvrage – aussi apprécié soit-il – est par nature inachevé. Une fois le livre publié, je suis resté à l’affût de tout ce qui manquait, sans parler de ma honte d’avoir parfois laissé passer certaines erreurs. Dans l’ordre de la transmission culturelle, il est impossible de vérifier tout ce que l’on propage : il faut bien faire confiance à l’autorité de prédécesseurs fort qualifiés, et reprendre de bonne foi leurs propres erreurs, notamment en ce qui concerne l’exactitude et les sources précises des mots que l’on cite. Dans cette recherche, j’ai dû souvent recourir à « Internet » à mes risques et périls, compte tenu de l’incroyable approximation qui règne dans tous les relevés de citations (et de leurs sources) ; mais je n’en ai pas abusé. Pour peu que l’on ait suffisamment de prudence, et que l’on n’accepte de ne retenir que ce que l’on a « vu de nos yeux vu », on peut trouver parfois dans les failles ou contradictions d’Internet des indices utiles menant à la vérité… Le Net est de nos jours la plus précieuse des sources d’erreurs!
À côté de cette intraitable rigueur, qui m’a conduit à rectifier un bon nombre de confusions courantes, cette nouvelle édition s’enrichit de plus de 300 références, toutes répertoriées dans l’Index, avec renvoi aux pages où elles sont replacées dans leur contexte, aussi brièvement que possible. En particulier, dans un nouveau chapitre intitulé « La République des petites phrases », j’ai recensé la plupart des formules politiques des 30-40 dernières années, auxquelles souvent les médias font référence (et notamment Le Canard enchaîné). D’où l’ajout : « … et politiques ! », qui complète le titre originel du livre – lequel compte maintenant plus de 1500 références, et 384 pages.
Bon appétit à tous !
B.H.
mercredi 12 novembre 2008
L’Intelligence de l’explication de texte
Voici ce que j’écrivais dans l’avant-propos de ce livre, paru en 2005 chez Ellipses :
« L’analyse des textes demeure un exercice fondamental de l’enseignement du français. Qu’on la nomme explication linéaire ou commentaire composé, étude suivie ou lecture méthodique, elle a pour objet essentiel la formation de l’esprit critique, c’est-à-dire à la fois :
- l’esprit d’analyse : l’aptitude à discerner les enjeux des textes, à percevoir la subtilité de leurs moyens d’expression, à interpréter le discours en sachant déjouer les pièges du langage – toutes choses fort nécessaires aux citoyens qui fondent sur la conscience l’exercice de leur liberté ;
- la faculté d’admiration : l’art d’apprécier l’art, de s’étonner devant la puissance d’un imaginaire, de jouir de l’allégresse d’un style, de mesurer l’authenticité d’un message, de ressaisir à travers les œuvres qui nous précèdent l’héritage culturel qui nous constitue – au risque de donner l’envie d’écrire, car l’admiration mène à la création.
C’est naturellement à travers la pratique que s’acquiert l’intelligence de l’explication, qui à la fois éclaire les textes et en reçoit la lumière. Et cela ne s’improvise pas. »
Dans ce manuel, j’ai donc proposé une quarantaine de « clefs » pour aller au cœur des divers types de textes qui valent d’être expliqués, et rédigé trente modèles de commentaires, dont une analyse de la page puissamment ironique écrite par Montesquieu contre « L’esclavage des Nègres » (De l’esprit des Lois, XV, 5).
Or, je viens de découvrir, à ma stupéfaction, qu’il existe des critiques à courte vue qui prennent ce texte au premier degré, et font de Montesquieu un auteur raciste ! L’excellente notice sur Montesquieu, dans Wikipédia, renvoie justement à l’une de ces « interprétations », qui est aux antipodes de toute « intelligence du texte », et accuse Montesquieu d’avoir été actionnaire de la « Compagnie des Indes » (qui pratiquait la traite des Noirs), ce qui est faux.
Il semble plus gravement encore que ce type de « lecture », qui se veut « militante », s’inscrive dans une remise en cause générale des « Lumières » et de l’humanisme, qui sont pourtant les fondements même des « Droits de l’homme », c’est-à-dire de l’anti-racisme. Certes, on peut longuement juger du comportement réel qui fut celui des pays européens à l’époque des Lumières, mais à condition de ne pas se tromper de conclusion : si bon nombre d’Européens ont trahi les Lumières, c’est leur trahison qui doit être condamnée, et non pas les Lumières (au nom desquelles, justement, on peut porter ce jugement critique).
Tout ceci me conforte dans l’idée que, plus que jamais, le respect des mots et de leurs sens, la rigueur de l’analyse, la maîtrise des outils permettant d’interpréter les textes (la connaissance en particulier des figures de style), sont indispensables à qui veut, face à la tyrannie du médiatiquement correct, éviter de sombrer dans l’imbécillité barbare.
Dans un monde où la bêtise est virulente, il nous faut rendre l’intelligence contagieuse.
B. H.
vendredi 22 août 2008
Pascal : la démarche des Pensées en 4 points.
Quels que soient les éclairages qu’apportent les éditions successives des Pensées de Pascal, aucun classement ne permet d’établir le plan précis qu’eût adopté ce dernier s’il avait pu mener à bien son « Apologie de la religion chrétienne ». Mais si l’on ignore ce plan, la stratégie globale de l’auteur – esquissée dans la fameuse édition Brunschvicg – ne fait guère de doute. La démarche de Pascal consiste en effet, en partant des contradictions de la nature humaine, à montrer que seul le christianisme en donne une explication cohérente. En voici un bref résumé, ou plutôt un survol, à la demande de mon interlocuteur « Phénix ingénu », avec quelques citations (suivies de leur numéro dans l’édition Brunschvicg, pour un répérage plus commode) :
■ Première étape : Pascal décrit la misère, ou plutôt les misères de la condition humaine, jetée dans le cosmos et livrée à elle-même. Misère d’être plongé sans raison dans l’espace-temps : « Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. » (Pensée 72) ; « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » (Pensée 206). D’où la disproportion qui rend cet univers inintelligible à la conscience humaine.
Mais la misère de l’homme est aussi dans les puissances trompeuses qui, à l’intérieur de lui-même, le rendent incapable de connaître la vérité :
- c’est L’AMOUR-PROPRE, qui pousse chacun à flatter les autres et à refuser de se voir tel qu’il est (« La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi », 100) ; d’où un mensonge social généralisé (« L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres », 100, – ce qui montre, s’il le fallait, combien « Le moi est haïssable », 455) ;
- c’est L’IMAGINATION, « C’est cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours » (82), au point que les plus sages en sont les premières victimes (« Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut »… ne manquera pas de trembler comme un poltron, 82) ;
- c’est LA COUTUME, qui nous fait prendre pour notre nature de simples caractères acquis, si bien qu’on ne sait plus en quoi consiste notre essence.
Aussi trompeuses que soient ces facultés, elles ne sauraient pourtant nous masquer la « vanité » de notre être et de ses conduites (cf. la pensée sur « Le nez de Cléopâtre », dans notre précédent billet) et l’ennui poignant des jours qui nous mènent inexorablement au cimetière (« Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette un peu terre sur la tête, et en voilà pour jamais », 210). Un rapide regard sur les hiérarchies sociales et la vanité des systèmes politiques, incapables de vérité et de justice, nous indique que nous ne pourrons guère trouver notre félicité dans l’organisation de la cité (« Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà », 294)
Que fait alors l’homme ? Il se « divertit ». Toutes ses entreprises, y compris les plus sérieuses, ne sont qu’un vaste divertissement, une « diversion » par laquelle il se cache sa condition tragique, au lieu de lui chercher un sens en se recueillant (« Tout le malheur de l’homme vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », 139) Et cette fuite en avant amplifie son malheur.
■ Deuxième étape. Le tableau précédent pourrait conduire au suicide… sauf que Pascal n’en a pas fini avec son lecteur, qu’il suppose avide de vérité. Après l’avoir provisoirement « désespéré », il lui assène alors une nouvelle considération : l’homme est grand ! Et c’est la pensée qui fait sa grandeur (« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant »). Sommes-nous rassurés ? Pas du tout, car il faut trouver une cohérence à cette contradiction de notre nature : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » (358 ; il est à la fois l’un et l’autre). Le paradoxe est tel que c’est la conscience de sa misère qui fait la grandeur de l’être humain : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable […] Toutes ses misères-là prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé » (397-398). Nous voilà bien avancés. Eh bien, dit justement Pascal, le mystère chrétien de la Chute originelle explique cette double nature de l’homme : il fut comme un roi au jardin d’Éden, puis il a été déchu de sa royauté par le péché. D’où son statut de roi dépossédé, – expression devenue célèbre. Que faire alors ?
■ Troisième étape. Pascal s’est jusqu’à présent servi de la seule raison humaine pour décrire les contradictions de l’homme (elle servira d’ailleurs aussi à montrer la cohérence du christianisme). Mais ce point établi, il faut dépasser la raison, car celle-ci conduit à son propre dépassement : "La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent; elle n'est que faible, si elle ne va pas jusqu'à connaître cela." (267) On n’accède en effet à la Vérité que par la foi, et cette foi ne s’obtient qu’à l’aide d’une autre faculté : le cœur. Le cœur, au-delà de ce que voient les yeux (connaissance sensible), au-delà de ce que comprend la raison (connaissance intelligible), est une sorte de tierce faculté, une intuition supérieure faite pour « saisir » la dimension spirituelle de notre Réalité, toute habitée de la présence de Dieu (cf. la Pensée 793, qui établit l’existence de « Trois Ordres »). « C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi, Dieu sensible au cœur, non à la raison. » (278). C’est le sens précis de la célèbre pensée : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » (277). Mais comment obtenir cette « foi », qui est « un don de Dieu », et non « un don du raisonnement » ? Il faut parier…
■ Quatrième étape. L’argument du pari . En l’absence de certitude sur l’existence de Dieu, on peut poser qu’il y a au moins Une chance qu’il existe, contre un grand nombre N de chances qu’il n’existe pas. Si l’on parie que Dieu existe et que l’on se comporte selon les exigences éthiques du christianisme, on a donc une chance de gagner la vie éternelle (c’est-à-dire une infinité de vies heureuses). Si l’on parie au contraire que Dieu n’existe pas, et qu’en son absence on profite au maximum du séjour terrestre, on a N chances de gagner une très bonne vie. Si l’on compare les deux possibilités, on peut constater mathématiquement l’avantage de la première option, car :
(1 chance) x (une infinité de vies heureuses) > (N chances) x (une vie heureuse)
D’un côté le gain est infini, de l’autre il est fini. Un joueur sensé doit donc parier que Dieu est, et vivre en conséquence… Mais si on ne parie pas ? C’est se conduire comme si Dieu n’existait pas, ce qui revient donc à faire le second choix. Or, on ne peut pas ne pas parier, « nous sommes embarqués » !
En réalité, Pascal propose ce pari (qui a choqué) parce qu’il est sûr que l’engagement dans la pratique religieuse, même si l’on n’a pas la foi, conduit à quitter le « divertissement » qui détournait de la dimension spirituelle ; et donc, à se « brancher » sur la « réalité » de Dieu, laquelle ne pourra que devenir de plus en plus sensible à celui qui lui ouvre son « cœur » (ce coeur qui sent Dieu).
Conclusion provisoire: faut-il chercher en gémissant ?
Fort de tout ce qu’il a « démontré », Pascal pense qu’un lecteur de bonne foi ne peut demeurer indifférent, ni à la question de l’homme ni à la question de Dieu : « Je blâme également, et ceux qui prennent le parti de louer l’homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir ; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant. » Encore une phrase qui a choqué ! Il faut comprendre que Pascal ne désire pas que l’on gémisse, mais sait très bien (par expérience ?) que la recherche de Dieu n’est pas de tout repos. Sa sévérité peut d’ailleurs être nuancée par la fin de la Pensée 194, où il appelle ceux qui vivent dans l’indifférence « à avoir pitié d’eux-mêmes, et à faire au moins quelques pas pour tenter s’ils ne trouveront pas de lumières. » Ces quelques pas les conduiront, pour juger en connaissance de cause, à entrer dans les considérations que se permet l'apologiste sur la supériorité de la religion chrétienne et l'éminente vocation qu'elle confère à l'être humain. "Apprenez, leur dit Pascal, que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez . Écoutez Dieu." (Pensée 434).
Il va de soi que pour laisser ses lecteurs "écouter" Dieu, Pascal alors fait silence. Et pour ne pas troubler cette méditation, je choisis de me taire à mon tour...
En réalité, Pascal propose ce pari (qui a choqué) parce qu’il est sûr que l’engagement dans la pratique religieuse, même si l’on n’a pas la foi, conduit à quitter le « divertissement » qui détournait de la dimension spirituelle ; et donc, à se « brancher » sur la « réalité » de Dieu, laquelle ne pourra que devenir de plus en plus sensible à celui qui lui ouvre son « cœur » (ce coeur qui sent Dieu).
Conclusion provisoire: faut-il chercher en gémissant ?
Fort de tout ce qu’il a « démontré », Pascal pense qu’un lecteur de bonne foi ne peut demeurer indifférent, ni à la question de l’homme ni à la question de Dieu : « Je blâme également, et ceux qui prennent le parti de louer l’homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir ; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant. » Encore une phrase qui a choqué ! Il faut comprendre que Pascal ne désire pas que l’on gémisse, mais sait très bien (par expérience ?) que la recherche de Dieu n’est pas de tout repos. Sa sévérité peut d’ailleurs être nuancée par la fin de la Pensée 194, où il appelle ceux qui vivent dans l’indifférence « à avoir pitié d’eux-mêmes, et à faire au moins quelques pas pour tenter s’ils ne trouveront pas de lumières. » Ces quelques pas les conduiront, pour juger en connaissance de cause, à entrer dans les considérations que se permet l'apologiste sur la supériorité de la religion chrétienne et l'éminente vocation qu'elle confère à l'être humain. "Apprenez, leur dit Pascal, que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez . Écoutez Dieu." (Pensée 434).
Il va de soi que pour laisser ses lecteurs "écouter" Dieu, Pascal alors fait silence. Et pour ne pas troubler cette méditation, je choisis de me taire à mon tour...
B. H.
mercredi 6 août 2008
Le nez de Cléopâtre
Cela devait arriver : il y a une lacune dans la nouvelle édition du Dictionnaire portatif ! On y trouve bien la référence au « nez de Cléopâtre » (dans le test des pages 702-703), mais nulle part dans le livre l’expression n’est expliquée…
Me voici pris à mon propre piège, moi qui, en réponse à notre ami « Phénix ingénu », jugeais indispensable de connaître les locutions culturelles majeures (cf. les commentaires qui suivent la Présentation 2, où je fais l’historique du Portatif).
« C’est un scandâââle ! » eût dit Georges Marchais, exigeant de l’auteur une autocritique en bonne et due forme. Non seulement en effet Pascal a érigé Cléopâtre en référence culturelle, mais Goscinny et Uderzo ne manquent pas de célébrer le « nez » de l’héroïne (dans Astérix et Cléopâtre), et je ne parle pas des nombreux films ou livres qui mettent en scène la reine d’Égypte à la beauté légendaire.
Mais venons-en aux faits. Dans la Pensée 162 (édition Brunschvicg), Pascal écrit : « Le nez de Cléopâtre : s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » Il veut montrer ainsi que des causes infimes peuvent avoir d’effroyables conséquences. En raison de sa beauté, due à un long nez, Cléopâtre fut en effet successivement aimée de César, puis d’Antoine. Il va de soi que l’histoire de l’empire romain eût été fort différente si, affublée d’un nez plus court (– signe de laideur à l’époque !), notre reine n’avait pas suscité l’ardeur de nos empereurs. Voilà qui illustre, selon Pascal, la vanité de l’amour et des choses de ce monde.
Depuis, faire allusion au « nez de Cléopâtre » n’est pas simplement une coquetterie d’homme cultivé, c’est une référence culturelle, dont la fonction est précisément de renvoyer, par delà les Pensées de Pascal, à un vaste débat à la fois philosophique et historique. Il eût été dommage de priver les lecteurs du Dico portatif, affamés de connaissances, de cette précieuse locution. Voilà mon oubli partiellement réparé... en attendant une prochaine réédition !
B. H.
jeudi 29 mai 2008
Des "programmes" du Bac au programme de la Vie...
En découvrant sur ce blog le mot Amour comme première illustration des notices de mon livre, notre ami « Phénix ingénu » s’étonne : « Je ne savais pas que l’amour était au programme », dit-il ! Eh bien, … moi non plus !
En fait, Phénix n’a pas tort de s’étonner, puisque la couverture du Dictionnaire portatif promet aux lecteurs les clés des notions « au programme ». Le bon étonnement, qu’il soit critique ou laudatif, est souvent l’acte premier de la pensée.
Cela me donne l’occasion de préciser les rapports qui existent entre ce que sont les « programmes » du Bac, et cet autre programme, si difficile à « préparer », que l’on nomme « la Vie ».
Quand je suis devenu enseignant, en 68, il était à la mode d’opposer l’école et la vie. Certains disaient : les cours n’ont pour objectif que d’instruire les cerveaux. D’autres estimaient qu’on n’apprend rien qui ne résulte de l’expérience, et qu’il fallait donc « faire entrer la vie à l’école », pour que les élèves prennent conscience – par l’expérimentation – d’un « savoir » qui préexistait en eux… Vaste débat ! Pour ma part, j’aurais plutôt dit qu’il fallait faire entrer l’école dans la vie pour apprendre tout le monde à penser !
En réalité, je me suis vite aperçu qu’en assistant aux cours, mes élèves ne se dépouillaient pas de leur existence personnelle ou de leurs émotions intimes comme d’un bagage qu’on laisse au vestiaire. Ce que j’avais à leur dire « intellectuellement » devait autant que possible leur « parler » existentiellement. Surtout lorsqu’il est question de la littérature, que Ionesco définit comme « ce qui empêche les hommes d’être indifférents aux hommes ». À mes yeux, le « programme » du bac, en Français (notions critiques, héritage culturel, œuvres de « grands » auteurs), devait moins les « motiver » comme programme obligé que comme « condensé de culture » susceptible d’enrichir ou de préparer leur expérience de la vie. En cela consistait mon métier d’enseignant, que j’ai justement choisi par désir de transmettre.
Mais cette idée me paraît valoir pour toutes les matières. Les programmes du bac ne sont pas une addition d’acquis provisoires, qu’on apprend par cœur en vue d’« avoir son bac », pour les oublier aussitôt après. Ils forment un ensemble d’éléments en interaction les uns avec les autres, ils constituent une culture globale qui sera, d’une part, indispensable pour réussir les études qui suivront le bac, et d’autre part, essentielle pour vivre dans toutes les dimensions de la vie : professionnelle aussi bien que citoyenne, relationnelle aussi bien que personnelle, émotionnelle aussi bien que spirituelle. Si l’on ne peut guère penser sa vie sans la vivre, on ne peut pas davantage vivre sa vie sans la penser. Les apprentissages de l’école ne remplacent pas ceux de la vie, mais ils représentent, dans tous les domaines, des gains d’expérience humaine que nous n’avons pas à refaire chaque matin. En ce qui concerne la culture que héritons de notre société, c’est-à-dire de ce que nos ancêtres ont transmis de ce qu’ils ont vécu, chacun de nous est comme un enfant qui a tout intérêt, pour voir plus loin ou plus haut, à grimper sur les épaules de son père. Et ceci, à tout âge...
Pour revenir à la question initiale (« l’Amour est-il au programme ? »), on peut remarquer qu’il l’a toujours été, que ce soit par exemple en philosophie (voyez Platon !), en littérature (voyez la « Carte du tendre » des Précieuses, la « passion » chez Racine, les jeux de l’amour chez Marivaux, etc.) ou dans les autres Arts… Il faut croire que les respectables personnes qui ont inspiré les programmes ont voulu faire réfléchir les adolescents sur l’amour avant que ceux-ci ne le « vivent » (ou pendant!), histoire peut-être de les prémunir contre certaines illusions/désillusions.
Et cet élève qui remarqua en l’an 2000 que le mot Amour manquait alors à mon Dictionnaire avait tout à fait raison. Il sentait bien que faire connaître le mot pourrait aider à en faire vivre la réalité. C’est lui d’ailleurs qui m’a inspiré la devise du Portatif : « Connaître les mots pour comprendre le monde ».
En fait, Phénix n’a pas tort de s’étonner, puisque la couverture du Dictionnaire portatif promet aux lecteurs les clés des notions « au programme ». Le bon étonnement, qu’il soit critique ou laudatif, est souvent l’acte premier de la pensée.
Cela me donne l’occasion de préciser les rapports qui existent entre ce que sont les « programmes » du Bac, et cet autre programme, si difficile à « préparer », que l’on nomme « la Vie ».
Quand je suis devenu enseignant, en 68, il était à la mode d’opposer l’école et la vie. Certains disaient : les cours n’ont pour objectif que d’instruire les cerveaux. D’autres estimaient qu’on n’apprend rien qui ne résulte de l’expérience, et qu’il fallait donc « faire entrer la vie à l’école », pour que les élèves prennent conscience – par l’expérimentation – d’un « savoir » qui préexistait en eux… Vaste débat ! Pour ma part, j’aurais plutôt dit qu’il fallait faire entrer l’école dans la vie pour apprendre tout le monde à penser !
En réalité, je me suis vite aperçu qu’en assistant aux cours, mes élèves ne se dépouillaient pas de leur existence personnelle ou de leurs émotions intimes comme d’un bagage qu’on laisse au vestiaire. Ce que j’avais à leur dire « intellectuellement » devait autant que possible leur « parler » existentiellement. Surtout lorsqu’il est question de la littérature, que Ionesco définit comme « ce qui empêche les hommes d’être indifférents aux hommes ». À mes yeux, le « programme » du bac, en Français (notions critiques, héritage culturel, œuvres de « grands » auteurs), devait moins les « motiver » comme programme obligé que comme « condensé de culture » susceptible d’enrichir ou de préparer leur expérience de la vie. En cela consistait mon métier d’enseignant, que j’ai justement choisi par désir de transmettre.
Mais cette idée me paraît valoir pour toutes les matières. Les programmes du bac ne sont pas une addition d’acquis provisoires, qu’on apprend par cœur en vue d’« avoir son bac », pour les oublier aussitôt après. Ils forment un ensemble d’éléments en interaction les uns avec les autres, ils constituent une culture globale qui sera, d’une part, indispensable pour réussir les études qui suivront le bac, et d’autre part, essentielle pour vivre dans toutes les dimensions de la vie : professionnelle aussi bien que citoyenne, relationnelle aussi bien que personnelle, émotionnelle aussi bien que spirituelle. Si l’on ne peut guère penser sa vie sans la vivre, on ne peut pas davantage vivre sa vie sans la penser. Les apprentissages de l’école ne remplacent pas ceux de la vie, mais ils représentent, dans tous les domaines, des gains d’expérience humaine que nous n’avons pas à refaire chaque matin. En ce qui concerne la culture que héritons de notre société, c’est-à-dire de ce que nos ancêtres ont transmis de ce qu’ils ont vécu, chacun de nous est comme un enfant qui a tout intérêt, pour voir plus loin ou plus haut, à grimper sur les épaules de son père. Et ceci, à tout âge...
Pour revenir à la question initiale (« l’Amour est-il au programme ? »), on peut remarquer qu’il l’a toujours été, que ce soit par exemple en philosophie (voyez Platon !), en littérature (voyez la « Carte du tendre » des Précieuses, la « passion » chez Racine, les jeux de l’amour chez Marivaux, etc.) ou dans les autres Arts… Il faut croire que les respectables personnes qui ont inspiré les programmes ont voulu faire réfléchir les adolescents sur l’amour avant que ceux-ci ne le « vivent » (ou pendant!), histoire peut-être de les prémunir contre certaines illusions/désillusions.
Et cet élève qui remarqua en l’an 2000 que le mot Amour manquait alors à mon Dictionnaire avait tout à fait raison. Il sentait bien que faire connaître le mot pourrait aider à en faire vivre la réalité. C’est lui d’ailleurs qui m’a inspiré la devise du Portatif : « Connaître les mots pour comprendre le monde ».
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