À titre d’exemple,
voici l’entrée du mot CLASSIQUE dans notre Dictionnaire du français classique, présenté hier, 29 octobre 2015 :
« CLASSIQUE. adj. et n. (lat
classicus, « de première classe,
de premier ordre »).
1. Au xviIe siècle, se dit d’auteurs ou d’ouvrages
anciens de grande valeur, et donc dignes d’être imités et étudiés. Il s’agit là
du sens latin : la société romaine était en effet divisée en classes (au
sens de catégories sociales) ; les meilleurs ouvrages étaient réservés à
la première de ces classes, dont les enfants devaient recevoir la meilleure
éducation. Les auteurs de ces ouvrages servaient de référence, de
modèles ; on les appelait classici scriptores :
écrivains de première classe, classiques.
Le mot classique renvoie donc, au xviie
siècle, aux ouvrages des anciens (et notamment latins) qui faisaient
autorité et méritaient d’être
enseignés, et non aux auteurs français que nous nommons aujourd’hui classiques (Molière, Racine, La
Fontaine, etc.). Comme, en outre, le mot classe
en était venu à désigner des ensembles d’élèves et, par extension, les lieux où se donnait l’enseignement, le mot classique s’entendit aussi au sens de
« digne d’être étudié dans les classes ».
2. Au cours du xviiie
siècle, le mot classique va
s’appliquer aux grands auteurs du siècle de Louis XIV, en particulier ceux de
la période 1660-1680. Ils seront considérés comme des modèles par Voltaire, par
les encyclopédistes, etc.
L’art
délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie fut encore une chose
nouvelle dont le livre des Mondes fut
le premier exemple [Il s’agit des Entretiens sur la pluralité des mondes de
Fontenelle, paru en 1686] […]. Ce qui pourrait empêcher cet ouvrage
ingénieux d’être mis par la postérité au rang de nos livres classiques, c’est
qu’il est fondé en partie sur la chimère des tourbillons de Descartes.
Voltaire, Le
Siècle de Louis XIV, chap. XXXII.
Cependant, le mot classicisme n’apparaîtra qu’au xixe siècle, pour définir à la
fois cette période dite classique et l’esthétique (liée à l’imitation des
anciens) qui en est issue. Depuis, le mot classique
(par opposition à tout ce qui peut apparaître comme moderne) a pris un sens
très général : toute grande œuvre est ainsi nommée classique.
N.B. Le présent
dictionnaire est centré sur la langue
littéraire élaborée et fixée au xviie
siècle, puis demeurée comme modèle dans les œuvres littéraires, bien
au-delà du classicisme proprement dit, comme en font foi de nombreuses
citations extraites d’œuvres du xviIie siècle. Ainsi se justifie l’emploi des
expressions époque classique ou langue classique, pour couvrir un champ
littéraire qui s’étend, en gros, de Corneille à Chateaubriand. »
Mais nous pouvons ajouter à ce N.B. que ces emplois sont loin de s’arrêter
à l’œuvre de Chateaubriand. L’exemple de Balzac, romancier réaliste situé au cœur
du XIXe siècle, est caractéristique. Lorsque celui-ci écrit La Cousine Bette, un feuilleton dont
chaque épisode est rapidement écrit pour paraître le lendemain, il use spontanément
de nombreux mots dans le sens qu’ils avaient au xviie siècle. C’est notamment le cas de ces termes, relevés
par Jacques Pignault : affriander, attachement, dérangement, facile,
fantastique, coup de foudre, incessamment, prétendu, ridiculité,
sortable, tempérament... Le
lecteur peut ainsi se figurer que l’expression « coup de foudre » désigne
comme aujourd’hui un amour subit et violent, alors qu’il s’agit encore en réalité d’un « événement désastreux qui atterre, qui
déconcerte, qui cause une peine extrême » (Littré).
Il faut donc se
méfier des catégories littéraires trop bien établies : même
les auteurs dits « romantiques » se plaisent à parler la langue classique !