vendredi 30 octobre 2015

LE MOT « CLASSIQUE » CHEZ LES CLASSIQUES


À titre d’exemple, voici l’entrée du mot CLASSIQUE dans notre Dictionnaire du français classique, présenté hier, 29 octobre 2015 :

« CLASSIQUE. adj. et n. (lat classicus, « de première classe, de premier ordre »).
1. Au xviIe siècle, se dit d’auteurs ou d’ouvrages anciens de grande valeur, et donc dignes d’être imités et étudiés. Il s’agit là du sens latin : la société romaine était en effet divisée en classes (au sens de catégories sociales) ; les meilleurs ouvrages étaient réservés à la première de ces classes, dont les enfants devaient recevoir la meilleure éducation. Les auteurs de ces ouvrages servaient de référence, de modèles ; on les appelait classici scriptores : écrivains de première classe, classiques.
Le mot classique renvoie donc, au xviisiècle, aux ouvrages des anciens (et notamment latins) qui faisaient autorité et méritaient d’être enseignés, et non aux auteurs français que nous nommons aujourd’hui classiques (Molière, Racine, La Fontaine, etc.). Comme, en outre, le mot classe en était venu à désigner des ensembles d’élèves et, par extension, les lieux où se donnait l’enseignement, le mot classique s’entendit aussi au sens de « digne d’être étudié dans les classes ».

2. Au cours du xviiie siècle, le mot classique va s’appliquer aux grands auteurs du siècle de Louis XIV, en particulier ceux de la période 1660-1680. Ils seront considérés comme des modèles par Voltaire, par les encyclopédistes, etc.
L’art délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie fut encore une chose nouvelle dont le livre des Mondes fut le premier exemple [Il s’agit des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, paru en 1686] […]. Ce qui pourrait empêcher cet ouvrage ingénieux d’être mis par la postérité au rang de nos livres classiques, c’est qu’il est fondé en partie sur la chimère des tourbillons de Descartes.
Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, chap. XXXII.
Cependant, le mot classicisme n’apparaîtra qu’au xixe  siècle, pour définir à la fois cette période dite classique et l’esthétique (liée à l’imitation des anciens) qui en est issue. Depuis, le mot classique (par opposition à tout ce qui peut apparaître comme moderne) a pris un sens très général : toute grande œuvre est ainsi nommée classique.

N.B. Le présent dictionnaire est centré sur la langue littéraire élaborée et fixée au xviisiècle, puis demeurée comme modèle dans les œuvres littéraires, bien au-delà du classicisme proprement dit, comme en font foi de nombreuses citations extraites d’œuvres du xviIie siècle. Ainsi se justifie l’emploi des expressions époque classique ou langue classique, pour couvrir un champ littéraire qui s’étend, en gros, de Corneille à Chateaubriand. » 

Mais nous pouvons ajouter à ce N.B. que ces emplois sont loin de s’arrêter à l’œuvre de Chateaubriand. L’exemple de Balzac, romancier réaliste situé au cœur du XIXe siècle, est caractéristique. Lorsque celui-ci écrit La Cousine Bette, un feuilleton dont chaque épisode est rapidement écrit pour paraître le lendemain, il use spontanément de nombreux mots dans le sens qu’ils avaient au xviisiècle.  C’est notamment le cas de ces termes, relevés par Jacques Pignault : affriander, attachement, dérangement, facile, fantastique, coup de foudre, incessamment, prétendu, ridiculité, sortable, tempérament... Le lecteur peut ainsi se figurer que l’expression « coup de foudre » désigne comme aujourd’hui un amour subit et violent,  alors qu’il s’agit encore en réalité d’un « événement désastreux qui atterre, qui déconcerte, qui cause une peine extrême » (Littré).  

Il faut donc se méfier des catégories littéraires trop bien établies : même les auteurs dits « romantiques » se plaisent à parler la langue classique !


jeudi 29 octobre 2015

Dictionnaire du français classique littéraire


Le Dictionnaire du français classique littéraire (Champion Classiques, 2015)

Historique. Au début de l’an 1999, dans le sillage du Dictionnaire portatif du bachelier, les éditions Hatier m’ont proposé de rédiger un ouvrage de même nature (pédagogique) sur la langue classique et sur ses références culturelles (tant du côté de la mythologie gréco-latine que de la tradition judéo-chrétienne). Nombre d’œuvres littéraires, de Corneille à Chateaubriand (et même au-delà), ne peuvent pas s’apprécier dans toute leur force et leur profondeur si l’on ne comprend pas le sens originel (souvent étymologique) des mots qui les constituent. Nécessaires à tous les élèves, ces connaissances étaient en particulier indispensables à ceux d’entre eux qui s’orientaient vers des études littéraires.

Je me suis donc mis à l’ouvrage avec mon ami et complice Jacques Pignault, qui m’avait si bien aidé par ses relectures à mettre au point le Dictionnaire portatif.  C’est ainsi qu’en septembre 2000, les éditions Hatier sortaient un beau petit livre de 450 pages, au format poche, agréable à feuilleter, intitulé : Comprendre la langue des œuvres classiques, de Corneille à Chateaubriand. Nous y avions travaillé environ 500 heures chacun.
Il s’en est vendu environ 300 exemplaires… ainsi va l’édition.
Mais cet échec commercial ne nous a pas découragés… ainsi sont les auteurs.

Jacques en particulier, passionné par la langue classique, poursuivit ses lectures et ses collectes. Nous pensions que, si l’idée d’un lexique pédagogique ne tenait plus, l’approfondissement et l’enrichissement de notre livre, en nombre de mots et en exemples portant sur plus de deux siècles,  pouvaient déboucher sur un ouvrage de référence destiné aux spécialistes, enseignants ou chercheurs. Mais nous songions aussi aux amateurs désireux d’entretenir leur culture classique, et de savourer en profondeur les chefs-d’œuvre intemporels que nous admirons nous-mêmes.
L’abondance des termes que nous (re-)découvrions, pour tenir dans les limites d’un volume de 800 pages, nous a obligés à ôter de ce dictionnaire les références proprement culturelles renvoyant à la mythologie gréco-latine et à la tradition judéo-chrétienne, supposées connues de notre nouveau public.

Tout en nous adonnant à cet ouvrage, qui nous paraissait d’autant plus nécessaire que nous l’approfondissions, nous avons pris divers contacts à la recherche d’éditeurs susceptibles de le juger utile… Au bout de quelques années, alors que je désespérais, Jacques continuait d’y croire. Et il avait raison : Jean Pruvost, Directeur de collection chez Champion, l’adopta immédiatement.
Un livre n’avorte jamais quand on croit en lui jusqu’au bout. Il suffit de patienter 15 ans…
À vous de juger !

Voici la modeste présentation de ce dictionnaire, qui figure au dos de la couverture :

« L’accès aux œuvres classiques, pour l’étudiant, l’amateur cultivé, ou le chercheur, est souvent freiné par la présence de mots ou tournures qui peuvent, sinon surprendre, du moins prêter à confusion. De Corneille à Chateaubriand, la langue littéraire présente en effet de nombreux termes ou expressions hors d’usage aujourd’hui (gourmandé, heur, mutiné), ou qui sont employés dans un sens qui diffère des emplois actuels (amant, grimace, industrie, généreux, suffisance) ; ou encore, dont la signification, sans avoir changé, s’est considérablement affaiblie (déplaisir, étonner, gêne, horrible). 

S’il existe des outils essentiels, spécialisés tantôt dans la langue du XVIIe siècle, tantôt dans celle du XVIIIe siècle, il a paru utile de regrouper en un seul ouvrage l’essentiel des termes figurant dans le français classique littéraire, qui en vérité s’étend sur ces deux siècles. La plupart des grands auteurs postérieurs au siècle de Louis XIV, en effet, même s’ils se voulaient « modernes », n’ont cessé d’admirer et de prendre pour modèles les œuvres constitutives du classicisme proprement dit, et de faire usage de la même langue, comme en font foi les abondantes citations de cet ouvrage.
Ainsi se justifient les expressions époque classique ou langue classique, pour désigner cette exceptionnelle littérature dont, très humblement, nous avons voulu faciliter la compréhension, et faire partager la saveur. »

Ce livre est désormais disponible, notamment à la librairie des Éditions Honoré Champion, 3 rue Corneille, 75006 Paris (776 p., 24€).